Sophie Pouille

* Titres. La naissance d’un titre part souvent pour moi de l’envie de venir convoquer un mot que je ne connais pas. Je cherche, je creuse, jusqu’à trouver le mot qui fasse sens, qui résiste, qui m’apprenne quelque chose et qui puisse abriter une forme de poésie. Il en va de même pour la création de mes pièces. J’aime laisser se déposer en moi mes lectures, mon rapport aux architectures, les discussions et les échanges de la vie, tous terreaux qui font pousser en creux des envies et des besoins de passer au travail, chercher des formes, trouver les outils qui puissent donner corps à celles-ci.

* Verre. Le verre est entré dans ma vie il y a une quinzaine d’années. J’aime ses histoires, de celles de sa composition à  celles de ses utilisations multiples au travers du temps. Fenêtres à travers lesquelles on regarde, objets du quotidien de même que matériau. On connaît le verre, il est partout. Sa transparence lui confère une présence discrète qui permet à l’espace de s’y refléter. Ce que j’y inscris dialogue avec les formes avoisinantes. La lumière le transforme, c’est une toile rigide en mouvement; je la peins, la sculpte, la grave, la photographie.

* Beauté. Je n’ai pas peur du mot « beauté », je la recherche, j’en ai besoin et si je peux en susciter l’impression j’en suis heureuse. J’aime également que l’on ne saisisse pas tout de suite ce qui apparaît, j’invoque des formes qui rappellent plus qu’elles ne décrivent. Mes pièces – même à deux dimensions – sont proches de la sculpture, je dessine des bibliothèques, des alphabets formels de souvenirs enfouis que je tente de convoquer, je compose des strates historiques et géographiques, qui se complètent, se contredisent, s’inversent. L’instable est ma corde.

* Récits. L’amour des récits que je tisse dans mon travail a une double origine. Lorsque j’avais une vingtaine d’années, j’ai eu la chance d’habiter la bibliothèque de Pierre Bourdieu, occupant son merveilleux appartement auprès de celle qui partagea sa vie, Marie-Claire. L’ensemble des murs de l’espace que j’occupais au 3ème étage, ancien bureau de Pierre, formait des falaises de livres qui m’entouraient, j’avais 20 ans et je découvrais qu’une pensée pouvait apparaître de par l’organisation des ouvrages, l’art aux côtés des sciences, les manuscrits aux côtés d’œuvres littéraires, il était très émouvant d’être en présence d’une telle organisation de pensée. Quelques années plus tard, lorsque je rencontrais Norbert Godon et à travers lui Aby Warburg, un premier élan tout d’abord intellectuel put commencer à prendre corps au travers de nouvelles productions.

* Poussière/grisaille. Il y a quelque temps, mon travail m’est apparu sous un jour différent. J’avais oublié les récits de la famille de mon père, travailleurs des mines du Nord, et ceux de mon enfance à la Mure en Isère. Les terrils, les haldes, les morceaux de charbon posés sur les étagères, les sensations physiques ressenties lors des descriptions des descentes dans les puits, la chaleur, les bougies, les poumons noirs et les structures de bois soutenant les galeries. Du côté de ma mère, les hauts fourneaux qui peuplaient les fenêtres de mes vacances, leurs cris, les jets de paillettes qui emplissaient parfois le ciel, les récits de mes grands-pères, l’acier, le charbon, la fonte, la puissance de la métallurgie. Je pense à eux, à leurs gestes, leurs groupes, l’extraction, la matière, la poussière, la fusion et les architectures impressionnantes, froides, belles et étranges. Cette résonance me semble aujourd’hui une part importante de ce qui me lie à cette couche de poussière à la lisière de ce qui la sépare du dedans.

Catalogue en cours de création